dimanche 17 avril 2011

Strela - Italie

C'est le nom d'un village qui résonnait quelques fois à mes oreilles. Mon grand père m'en parlait de temps en temps lorsque nous évoquions ses parents, ses grands parents.
Une fois le virus de retrouver mes ancêtres dans le sang, je me suis mis à chercher mes ancêtres et mes cousins brefs tous ceux qui pouvaient me parler de la famille italienne. Selon la légende Giovanni voulait se marier avec Palmyra. Le père n'a accepté le mariage que lorsque Giovanni aurait assez d'argent. Il serait donc parti à Lens à pied depuis les monts Appenins, retrouvé un oncle ou un cousin. Il a exercé là le métier de commerçant, marchand de chaussure et bonneterie, comme beaucoup d'Italiens.
Rentré au village il a pu se marrier avec Palmyra, et retourner habiter Lens, ensemble. Leurs deux fils sont également nés à Strela. Mon Grand-Père me racontait que qu'une tradition voulait que les enfants naissent en Italie.J'ai donc un jour décidé d'aller dans ce village, parler, poser des questions, voir...

Pour ne pas m'engager dans le hors-sujet de ce blog, je raconte ici mon voyage à Strela et limite mes propos sur mes ancêtres.
J'ai là bas retrouvé une cousine, qui m'a aidé dans mes recherches. je demande à Maryse de me faire rencontrer la personne la plus âgée du village. Nous allons voir Ludovico...



Ludovico a 90 ans. C'est parce qu'il est le plus vieux du village que j'ai voulu le rencontrer. J'espère trouver chez cet ancêtre, la mémoire vivante des miens. Il nous reçoit chez lui. Les volets sont fermés, le mobilier néo rustique renforce l'obscurité. C'est dans la cuisine que nous sommes reçus. Je suis certain qu'il doit connaitre un Moglia émigré en France. On lui pose une question, une seule suffit. Il ne sait rien... Trop jeune pour avoir connu les Moglia partis pour Lens. Il a bien entendu parler d’Amedeo mon arrière Grand Père mais nous répète sans cesse que seul son père le connaissait. Toutes mes rencontres à Strela ont eu lieu dans une cuisine. Autour d'une table. Le salon ne doit servir que pour les grandes occasions. Ludovico est assis dans un fauteuil. Sourd il demande à Maryse de répéter quasiment toutes ses phrases et Maryse dans un nouvel effort, et dans son accent français répète toutes ses phrases. Sur le même sujet. Ludovico cherche mais en vain, ma famille est partie depuis trop longtemps. Je comprends dans ses gestes, sur son visage, qu'il s'excuse presque de ne pouvoir m'en dire plus. Alors il se lève, utilise toutes ses forces et courbé traverse la cuisine, va au salon et ramène devant nous un arbre généalogique. Voilà, lui aussi a retracé ses ancêtres. Ici à Strela trois à quatre noms de famille, pas plus. Moglia, Feci, Dallara, Emanuelli. On imagine des clans, des histoires de famille et de la consanguinité bien sûr. Je lui demande si je peux faire une photo de ses recherches, il en est ravi.

On décide de sortir dans le jardin et là, certainement depuis soixante-dix années, il doit refaire les mêmes gestes, il doit montrer les mêmes lieux. Il pointe un endroit très précis. "Là". Maryse me traduit en simultané mais bientôt je n'aurai plus besoin de ce truchement, les signes parlent d'eux même, le visage exprime ce qui doit être compris. A l’âge de 18 ans les allemands sont entrés dans Strela. Il avait la barbe, hors de question de se faire passer pour un enfant. Alors il se cache "Là" près d'un arbre ce qui autrefois était un potager avec des plants de haricots. Il se cache là toute la journée et entends des enfants qui disent aux Allemands qu'il est partis dans la forêt. Il est sauf. Il ne sortira de sa cachette que lorsqu'il entendra sa mère crier. Et sa mère criera le soir en voyant son mari mort, fusillé. Fusillé à vingt mètre de son fils caché, impuissant terré immobile. Ludovico a 90 ans et les larmes ont du mal à sortir comme s'il avait dû trop pleurer sur ce drame. Je devine des yeux humides. Une grande humilité m'envahit et je n'ose regarder Maryse qui doit ressentir la même chose. Mais ce beau vieillard courbé sur sa canne nous renvoie naturellement à nos occupations de jeunes, de moins vieux en tous cas. Il ne dédramatise pas, pour lui aujourd'hui ce n'est peut-être plus un drame, cette histoire c'est toute sa vie. Il dit à Maryse qu'il est content de m'avoir rencontré, et que s'il me tutoie c'est par respect.